©Sébastien Dumas

Retour sur Blanche-Neige ou la chute du mur de Berlin

Quand le miroir tombe !

La représentation de Blanche Neige ou la chute du mur de Berlin, produite le 16 décembre au Domaine d’O, a laissé un public sans voix. Ce spectacle, oscillant entre pièce de théâtre, film et œuvre musicale, nous fait découvrir une modernité encore jamais vue !

La réadaptation d’un conte célèbre
Il était une fois, le conte de Blanche Neige qui rencontra la grande Histoire Mondiale du mur de Berlin. Cette pièce, proposant un mélange surprenant, aura eu le mérite d’attiser la curiosité du public, rien qu’avec son titre ! L’adaptation de ce conte célèbre est une sorte de pari que se sont lancés Métilde Weyergan, Samuel Hercule, Timothée Jolly et Florie Perroud. Il est vrai, beaucoup ont tenté leur chance en proposant une version plus moderne du conte qui aura bercé l’enfance de plus d’un. Qu’est-ce qui différencie alors cette adaptation de toutes les autres ? On retrouve en effet les éléments incontournables qui font la particularité du conte de Blanche Neige : une forêt sombre, des nains, une pomme et bien sûr un miroir parlant ! Cependant, cet univers féérique est brutalement transposé dans la réalité de l’été 1989, peu avant la chute du mur de Berlin. Le Royaume verdoyant et vaste du conte se transforme en grande cité HLM, placée à proximité d’un bois. C’est dans cette tour grise que vit Blanche, une adolescente au style gothique et sa belle-mère Elisabeth. En effet, le père de la jeune fille, trapéziste réputé, est parti il y a bien longtemps pour travailler dans un cirque en URSS. L’histoire des tensions qui règnent entre la « sorcière » et sa belle-fille est ici mise en parallèle avec la chute du mur de Berlin, métaphore de leur relation électrique. Tout ici est renversé, la féérie n’existe plus et l’on se demande finalement si la méchante belle-mère est si mauvaise. Toute l’intrigue laisse le public en haleine et le sort de ces personnages sera révélé dans la narration de cette belle-mère incomprise. Entre « coexistence pacifique », tensions, relation conflictuelle, les deux héroïnes vont-elles se séparer, ou parvenir à faire chuter un mur qu’elles ont elles-mêmes érigé ? Pour le découvrir, il faudra se munir de billets d’entrées !

Entre le film, le spectacle vivant et l’œuvre musicale
La singularité de ce spectacle tient à son extraordinaire mise en scène : la compagnie déjoue les attentes du spectateur habitué aux décors chargés et aux changements de costumes. En effet, l’espace scénique n’est occupé que par les instruments des musiciens qui accompagnent ce cinéma-théâtre et un tapis roulant qui fait défiler les objets nécessaires aux bruitages du film. Par l’action constante qu’il opère dans la pièce et l’aide qu’il apporte aux comédiens, ce tapis devient presque un personnage à part entière de la pièce. Le spectateur est invité à suivre à la fois, les comédiens sur le plateau, une production cinématographique réalisée et jouée par eux, mais aussi des artistes qui réalisent les sons, les voix et la musique du film qui va prendre la place de la version théâtrale. Il est vrai que parfois, entre les comédiens qui jouent de la batterie et du piano, ceux qui réalisent des bruitages avec divers objets, et le déroulement du film, on ne sait plus où donner de la tête. Cependant, c’est aussi une façon pour la compagnie de nous inciter à venir voir le spectacle une deuxième fois afin d’en saisir tous les rouages !  

Des comédiens Polyvalents
La prouesse des comédiens est phénoménale et c’est sans aucun doute l’un des nombreux points forts de cette pièce. Métilde Weyergans interprète sur le plateau, à la fois la belle-mère et Blanche, tout en réalisant divers bruitages de la vie quotidienne de ces deux personnages. Son jeu de comédienne, qui balance entre mère de quarante ans et ados de quinze ans, met en exergue son talent et dévoile la réalité du travail d’un comédien qui se doit de se mettre dans la peau de personnages divers et parfois antithétiques au cours de sa carrière. Elle partage la scène avec Samuel, qui réalise également les bruitages et prête sa voix aussi bien à un officier de police, à un adolescent mais aussi au père de Blanche dans les épisodes narratifs mis en scène dans le film. Tantôt acteurs, metteurs en scène, producteurs, comédiens ou encore musiciens, ces artistes complets comptent plusieurs cordes à leur arc ! Il faut également souligner la prouesse technique que représente la parfaite synchronisation à laquelle parviennent les comédiens. Véritablement  réglés comme une horloge, ils arrivent à associer chaque mouvement et chaque bruitage à l’image projetée sur l’écran géant. Assister à cette pièce, c’est comme défier les vagues d’une montagne russe : on prend les virages avec eux, en espérant que les roues ne vont pas déraper et l’on ressort victorieux et satisfait d’avoir pu vivre quelque chose d’aussi revigorant !

Un travail de mise en scène collectif
Cette pièce, pensée et réalisée à deux, est le fruit d’un travail d’équipe. Les comédiens ont tous pris part au processus de création afin de faire vivre cette mise en scène hybride. En effet, lors du moment d’échange avec les comédiens, ceux-ci ont révélé avoir passé un temps considérable dans les brocantes, à la recherche des objets les plus adéquats, mais aussi les plus improbables, pour réaliser les bruitages du film. Chaque objet trouvé a été testé par l’équipe d’acteurs pour être approuvé ou non. Métilde et Samuel ont certes pensé cette pièce, mais c’est Timothée qui a réalisé la musique originale du spectacle.  Le conte de Blanche Neige n’a donc pas reçu une interprétation personnelle, mais plusieurs qui, mises en commun, forment un spectacle aussi féérique qu’inattendu.

Un sujet d’actualité
L’équipe a souhaité aborder par cette réadaptation, un sujet qui résonne encore aujourd’hui. Regarder cette pièce, c’est une façon de se mettre à jour, autant en ce qui concerne notre Histoire mondiale, qu’en ce qui concerne la réalité de notre époque. De plus en plus de couples sont séparés, de plus en plus de familles sont recomposées et les enfants vivent et grandissent plus fréquemment avec des belles-mères et des beaux-pères qu’avec leurs véritables parents. Cette pièce soulève nombre de questions : Est-il possible de mener une vie heureuse dans ce cas-là ? Est-on obligé de se déclarer la guerre pour autant ? Doit-on laisser le miroir magique influencer les choix de nos vies ? Avec ce subtil mélange de la petite histoire pour enfants et de la grande Histoire du monde des adultes, les réalisateurs sont parvenus à actualiser ce conte ancien, qui devient alors le miroir de la complexité des relations humaines.

Laurie FONTAINE

en Licence 3 métiers de l'écrit et de la culture.
Enseignante : Nejma Omari
UFR 1 - Université Paul Valéry Montpellier III